Honor de Cavalleria / Une direction de non-acteurs

Thierry Lounas : La réussite tient aussi à la façon dont tu as adoptée les actions. Je crois qu'ils ne savaient pas exactement ce qu'il étaient en train de faire au moment où ils ont tourné. Cette confusion vient aussi du tournage. Tu vas en parler, mais il paraît qu'ils faisaient énormément de kilomètres avec leurs armures avant de commencer à tourner. Ils étaient donc vraiment fatigués, pour que ce soit un minimum réaliste. Tu disais tout à l'heure que tu avais coupé le son des avions, mais tu as aussi coupé ta propre voix… ça veut donc dire un certain type de direction d'acteurs : c'était en continu, il n'y avait pas forcément de claps, tu indiquais des choses, tu leur criais ce qu'ils avaient à faire ou pas, et après tu coupais au montage. C'est important de parler du jeu d'acteur et de ta direction d'acteur pendant le tournage.

Albert Serra : C'est le petit secret de chaque réalisateur, non ? J'ai vu beaucoup de films de Pasolini et j’y ai vu beaucoup de choses mal faites, des erreurs. J'ai réfléchi à ça : « Comment peut-il y avoir des erreurs dans un film de Pasolini ?! » Des choses bizarres, des regards caméra qui n’ont pas été coupés au montage. A l'époque, Pasolini ne pouvait pas faire des scènes de quarante-cinq minutes, ses films sont mal faits, très brusques. Ils sont tout sauf parfaits. Je suis arrivé à la conclusion que c'est parce qu'il n'avait pas de caméra numérique. Il devait couper, parce qu’il avait des magasins de six minutes. Il ne pouvait pas faire ce que je peux faire, moi : tourner une heure. Je n'ai jamais tourné une heure, mais je suis allé jusqu’à quarante-cinq minutes sans coupe. Ça signifie que les acteurs non-professionnels n'étaient pas obligés d'avoir une grande concentration. Je leur disais quoi faire ou dire : parlez de tel sujet, dites telle phrase… Avec le numérique, le travail est très facile. On peut tourner, parler pendant le tournage et après, couper les voix, simplement.

Thierry Lounas : J'aimerais bien que tu parles plus précisément de ta façon de diriger.

(S’adressant aux participants)

Souvent il ne donnait des indications qu'a un des personnages et l'autre ne savait pas quoi faire. L'un savait, l'autre devait se positionner.

La première scène avec les lauriers est étonnante parce qu'on se demande ce que fait Sancho. Il cherche, il ne cherche pas, il s'arrête. Je crois qu’Albert disait « Stop », Sancho s'arrêtait et après il faisait marche arrière parce qu'on lui avait dit stop. Comme Sancho est assez obéissant, il retournait et il repartait de l'autre coté et ça donne au film une certaine couleur quand même !

Albert Serra : Oui, une certaine spontanéité, authenticité ! C'est vrai. C’est un jeu psychologique avec les acteurs mais c'est le petit secret de chaque réalisateur.

Quand on tourne dans la continuité, c'est plus facile d'avoir l'attention des acteurs. On a du temps pour penser à ce qu’on veut faire, et les acteurs ont aussi le temps de se concentrer. C'est différent. Pour le prochain film, j'hésite à tourner en 35 mm, en 16 mm ou en numérique. Mais j'ai peur de tourner en 35 mm car les magasins de pellicules font dix minutes, c'est un handicap très important quand on travaille avec des acteurs non-professionnels et avec un réalisateur non-professionnel comme moi ! Si on ne sait pas ce qu’on doit faire, c'est difficile. Avec des acteurs non-professionnels, on doit trouver comment profiter de leurs réactions.

Thierry Lounas : Quelle est la part entre de ce qui est improvisé au tournage et de ce que tu avais écrit avant ? Comment as-tu transformé ce texte et puis après comment l'as tu changé de nouveau au moment du tournage ?

Albert Serra : L'essentiel était écrit : on ne peut pas arriver un matin sans savoir ce qu’on va faire. Ce serait perdre beaucoup de temps. L'essentiel est dans le script. Mais comme les acteurs ne sont pas professionnels, ils ne pouvaient pas mémoriser le texte.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans