La seule place de la critique, c'est de faire de la bonne critique

Albert Serra : Pour revenir à la question de la place de la critique, je vous prie de m’en excuser, mais je suis contre toutes ces opinions. Je pense que le rôle de la critique, c’est d’être bien faite. Peut-être que je parle contre moi. Mais c’est pour cette raison que j'aime Les cahiers du cinéma et que je n'aime pas Positif ou Télérama, parce que dans les Cahiers il n'y a pas de jugement de valeur sur le film, mais un travail créatif de critique dans lequel le film est seulement un point de départ pour faire une œuvre d'art. Pour les grands critiques, le film est seulement un point de départ. Et ça n’a aucune importance qu’ils veuillent aider certains films, qu’ils aient aimé ou non certains films. Beaucoup de grands critiques ont fait des critiques créatives, artistiques. Ce n’est pas obligatoire de défendre les bons films.

Thierry Lounas : Je vois que tu n'as pas trop envie d'accompagner ton film en salles, tu veux rester dans ta ville !! Tu as fait un film pour dire qu'il faut être idéaliste (là tu le fais très bien aujourd'hui)… mais il y a aussi Sancho, il faut être pragmatique, tu ne peux pas le nier quand même !

C’est vrai qu’ici, tu te mets dans une session critique qui est celle des années 50, c'est-à-dire à un moment où le cinéma est populaire, où les œuvres n'ont pas besoin de la critique pour être vues. A l’époque, il y a un besoin énorme de films, d'images etc... si bien que le critique n'a qu'à commenter ou a prendre ici et là ce qui lui plaît ou pas.

Le problème aujourd'hui c'est qu'il doit aller chercher de quels films il va parler, il y a énormément de films. Tu ne peux pas faire abstraction du fait que, dans la difficulté dans laquelle nous sommes tous, nous avons tous à faire un peu plus que nôtre travail. Hier je citais un critique qui disait « Un film existe, je l'ai rencontré » c'est pour ça je n'étais pas d'accord avec ce que tu disais au début. Pour qu'un film existe, on est obligé d'organiser une rencontre, c'est-à-dire il faut au moins qu'il y ait un spectateur et aujourd'hui ce spectateur est problématique.

Albert Serra : Je suis d'accord. Le problème, c'est que dans les années 50, les films populaires, les films de Douglas Sirk, les films commerciaux étaient de bons films. Les films de Godard sont tous sortis, ils ont eu un succès public, beaucoup de jeunes les ont vus. Même chose pour la musique. La musique commerciale d'aujourd'hui c'est de la merde, alors que dans les années 60, la musique commerciale, comme Petula Clark, c'était de la bonne musique, c'est vrai qu'il y a une différence. C'est vrai qu'aujourd'hui on a besoin d'une certaine aide de la critique, c'est un vrai problème.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans