Honor de Cavalleria / Un film panthéiste, non narratif

Albert Serra : C'est vrai que l'idée était de faire un film panthéiste avec tous les éléments de la nature, mais sans rien souligner. S'il y a de l'obscurité, c'est qu'il y a de l'obscurité. S'il y a de la lumière, c'est qu'il y a de la lumière. Je voulais faire un film qui ne soit pas tendancieux envers son spectateur, qu'il puisse y voir ce qu'il voulait. S'il n'y a rien à voir, il y a peut-être quelque chose à penser ou quelque chose à sentir. En ce sens je voulais faire un film très simple.

Un film panthéiste tourné dans la nature mais avec une mini DV. C'est très important la caméra numérique, car elle n'a pas de définition, elle ne peut pas faire de grands plans. Mais je voulais avoir la possibilité de tourner de longues prises. Que la nature soit là… Peut-être on ne la voit pas, parce qu’il n'y a pas de définition, mais elle est là. On peut la sentir, mais il n'est pas nécessaire de la montrer. Elle n'est pas là visuellement, parce qu'avec la DV on ne peut pas la voir, mais on a la sensation qu'elle est là en permanence. C'est comme si c’était un tableau impressionniste. Il n'y a pas un seul plan de paysage, jusqu'à la fin. Tous les plans, excepté le dernier, incluent les personnages.

Jean-Luc Jousse : Ce n'est pas dans une mise en ordre de la nature.

Albert Serra : Je voulais créer une atmosphère très naturelle… C'est intéressant parce qu'en utilisant une caméra numérique, on peut faire un film épique ou historique. Ce n'est pas quelque chose que font souvent les jeunes cinéastes d’aujourd’hui.

Quelqu'un : En ce sens, je dirais que l'expérience des quelques premières minutes où on a eu la bande son amputée montrait à quel point la nature existait beaucoup par les sons. Elle fait sens et elle est présente principalement sur la bande son. Peut-être que les limites du numérique au niveau visuel étaient compensées. Les bruits de la nature étaient extrêmement présents et du coup quand on a revu les premières minutes avec le son, on en saisissait finalement toute l’ampleur.

[NDLR Le matin-même, au début de la projection, a eu lieu un incident technique; après quelques minutes, la projection s’est interrompue, le film a été rembobiné et les réglages de projection réinitialisés. Les spectateurs ont donc vu une grande partie de la première séquence deux fois (couronne de laurier) : une fois avec avec un son quasiment inaudible, très faible, l’autre fois normalement.]


Albert Serra : C'est vrai. Il n’y a aucun effet sonore. Je voulais un son très naturaliste, il n'y a pas de mixage complexe… Il n'y a rien de tout ça. Nous avons coupé quelques éléments, des avions, ma voix, mais tous les sons sont directs. C'est pour ça qu'il a une telle présence. C'est fascinant d'imaginer la nature, non par les images mais par le son. Là où les images n'y arrivent pas, le son y arrive. Le cinéma, c'est la combinaison de l'image et du son. Pour moi, cette seule combinaison suffit. Peu m’importe qu'il y ait des personnages, une histoire, de la psychologie, une structure narrative. Les films que j'aime sont ceux où les choses les plus importantes sont l'image et le son.

Peut-être que ce film va dans la direction d’un cinéma abstrait. Il n'y a pas de relation proche avec la narration, il y a une relation métaphysique avec le sujet général. Avec Pedro Costa, on a démontré qu'on peut faire des films qui ne sont pas narratifs mais qui sont comme des tableaux. Jusqu'à aujourd'hui, le cinéma était très traditionnel. A l'exception de la Nouvelle Vague et de certains films, le système narratif de Dickens a prédominé jusqu’à présent.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans