Heureux Français… malheureux Espagnols

Albert Serra : Je voudrais dire seulement une chose. Chez vous, la situation est pessimiste concernant la distribution, mais vous pouvez être heureux d'être Français ! En Espagne la situation est incroyable, il n'y a pas de discussions comme ici. Il n'y a pas d'exploitants intéressés par le cinéma, il n'y a pas d'enseignants intéressés, il n'y a rien ! Et dans le cinéma espagnol, il n'y a pas un seul film intéressant. Ça signifie qu'il n'y a aucun intérêt pour le cinéma, sauf pour le cinéma conventionnel, traditionnel, commercial. Ici, nous sommes en France, beaucoup de gens sont en train de discuter de tous ces problèmes. En Espagne ça n'existe pas. Il y a seulement la grande industrie. La situation ici avec mon film et le film de Pedro est un peu pessimiste, oui, mais en Espagne c'est pire, il n'y a pas de situation !!!


Quelqu’un dans la salle : Votre film est sorti en Espagne ?

Albert Serra : Oui, mais... (grand geste des bras, moue désabusée)

Le même (complétant) : D'une façon bizarre.

Albert Serra : Très bizarre. Le distributeur a décidé de sortir le film en Espagne, trois semaines avant Cannes ! C’est pourtant le distributeur le plus prestigieux parmi ceux spécialisés pour les « petits » films. Incroyable ! Il a décidé de le sortir à ce moment-là, trois semaines avant, parce qu'il avait beaucoup de films, notamment des films plus importants pour Cannes. C'est incompréhensible parce que, du coup, Honor de cavalleria n’a pas pu bénéficier de la publicité de Cannes, les journaux, la télévision…

En Espagne, le film n’a pas existé, il est sorti dans une salle de Barcelone, avec neuf copies sur le pays, c'est complètement stupide. Ici, il y a un débat, une préoccupation… En Espagne, la situation est très différente. Là-bas, le cinéma indépendant n'existe pas.

Les trois ou quatre cinéastes qui sont allés dans les festivals internationaux, comme moi, n'ont jamais eu aucun prix espagnol, aucune nomination. Mon film est allé dans tous les festivals que l'on peut imaginer, il n'a pas eu une nomination pour l'équivalent des Césars espagnols, les Goya. Il est allé à Cannes, il a gagné beaucoup de prix européens dans des festivals prestigieux. Vous pouvez vous sentir heureux d'être français et de discuter de ça. Parce qu'il a des pays bien pires !!!

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans