Ce sont toujours les gens stupides qui croient qu'il faut beaucoup de spectateurs

Thierry Lounas : Juste une petite anecdote qu'on n’a pas racontée, c'est que ce film c'est une prise d'otage ! Ce film-là, on l’a tourné en catalan, alors que le héros est castillan, donc c'est du vol ! Le distributeur espagnol a voulu le doubler en castillan et Albert a refusé. Quand on connaît la situation espagnole, c'est suicidaire de sa part : du coup, il réalise beaucoup moins d'entrées qu'il aurait pu en faire. Mais ce choix, c'est pour dire que la vraie langue de Don Quichotte, c'est le catalan, c'est la sienne et ça fait partie de la beauté du film.

Albert Serra : Oui, c'est toujours la même chose. Ce sont les gens stupides qui croient qu'il faut beaucoup de spectateurs. La télévision a acheté mon film ; on m'a envoyé une lettre en me disant que ce n'était pas possible, qu'on ne pouvait pas montrer le film à la télévision, car il est trop obscur. J'ai dû renvoyer une lettre pour leur dire que cette obscurité est une décision artistique. Ça signifie que la télévision a une très grande influence. Dans Les cahiers du cinéma, j'ai lu un article très intéressant qui disait que la télévision participait actuellemet au financement de tous les films. Cela a pour conséquence une standardisation de la qualité : il ne peut pas y avoir de plans obscurs, il faut un récit, etc. Il y aura de plus en plus de censure artistique parce que c'est la télévision qui paie et que son langage est standardisé et simplifié à l’extrême.

Alors que je crois qu’arriver à faire un film représente une vraie conquête, aujourd'hui. Pour que le postérité parle de lui.

Cyril Neyrat : Si on ne défend pas le cinéma, si on permet pas aux films d'être vus, si on ne participe pas à un travail, qui fait qu' existe un public sensible et intéressé par un certain type d'exigences artistiques, tout ça va disparaître. On sait bien que c'est ça qui est en jeu. L'enjeu c'est le goût pour la singularité, c'est l'existence même d'un intérêt pour la singularité et si aujourd'hui on ne défend pas ça, il n'y aura pas de postérité. Il y aura plus de public...

Albert Serra : Nous sommes presque à la fin du monde audiovisuel.

Cyril Neyrat : On est à la fin de quelque chose mais on peut être aussi au début d'autre chose, à condition de ne pas rester crispé et chacun a sa place.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans