De la difficulté rencontrée par certains "films fragiles" pour trouver une diffusion

"Films fragiles" : …films fragiles au regard du marché, mais esthétiquement forts. De l'importance pour la critique de les soutenir par écrit et ailleurs. Par exemple, ici.


Emmanuel Burdeau : Merci. Avant de parler du film, un mot sur le contexte.

Les difficultés qu'a rencontrées Honor de cavalleria pour obtenir en France la distribution qu'il mérite le prouvent une fois de plus : pour la critique, il est de plus en plus difficile, voire impossible, de parler des films sans réfléchir en même temps à la façon dont ceux-ci sont montrés, dans quelles salles, avec quel accompagnement. Il y a aujourd'hui tellement de films forts mis ainsi en position de faiblesse. Honor de Cavalleria, mais aussi le film de Pedro Costa En avant jeunesse, l’un et l’autre ayant aujourd’hui un destin assez parallèle.

En avant jeunesse devait sortir dans les cinémas courant janvier. Il ne sort pas. Il devait sortir au mois de février, il ne sortira de toute évidence pas au mois de février, ni peut-être en mars. Pour l'instant, la sortie reste hypothétique pour de complexes problèmes de production, mais aussi de distribution. Ce film était le film important de la compétition officielle à Cannes (je laisse de côté la Quinzaine des réalisateurs). Néanmoins, à l’époque où une sortie était programmée, il ne devait être distribué que dans une ou deux salles à Paris, et encore, pas dans les salles et dans les conditions techniques adéquates.

Thierry Lounas pourra parler beaucoup plus longuement de ce qui avait été prévu et est encore prévu à Paris et ailleurs pour Honor de Cavalleria. Les deux films sont des films fragiles, en terme de production. Ils ont de surcroît des difficultés à exister, à être distribués. Ce sont des films fragiles, pour lesquels le soutien de la critique est important. Mais laissons de côté cet adjectif, car ce sont au contraire deux films forts, dans la plénitude de leurs moyens esthétiques. C'est toujours ambigu lorsqu'on parle de « films fragiles », comme si la fragilité économique correspondait fatalement à une fragilité esthétique ; comme si d’une supposée fragilité esthétique découlait une fragilité face au marché. Or, il n’en est rien. Ce sont deux films forts qui sont hélas, voués à la fragilité par le marché.

C'est pour cela qu'il est important pour nous d'être là aujourd'hui, avec toujours le même souci : affirmer que le travail critique ne se fait pas qu'à l'intérieur d'une revue, il se fait aussi ici. Aujourd'hui, le travail critique est de plus en plus perméable à d'autres types de pratiques, d'autres approches du cinéma : exploitation, distribution, rapport avec le public, etc.

Thierry Lounas est à la fois membre du comité de rédaction et distributeur du film. Deux précisions à ce propos. D'une part Thierry n'écrit pas sur les films, son activité principale étant la distribution et la production. Il écrit sur l'économie du cinéma. D’autre part, ce n’est pas contrevenir aux règle de l’éthique qu'une revue défende un film dont un membre de la rédaction est le distributeur.

Prenons un exemple illustre : Paolo Branco [Gémini films] a sorti les premiers films d'Oliveira, en particulier Francisca… Il rappelle d’ailleurs dans les Cahiers de janvier que le film n'a alors réuni que six cents spectateurs à Paris. Mais le soutien de la critique – de certains noms importants dans la critique – fut d’un poids assez lourd lourd pour que des producteurs aient envie de s'engager sur le film suivant d'Oliveira. Ce n'est plus le cas aujourd’hui. Qu'un film soit soutenu par la critique ne suffit pas à garantir son succès du film, et pas non plus à donner assez de légitimité à un cinéaste pour que des producteurs veuillent s'engager sur le suivant…

Il se trouve que lorsque Branco à distribué Francisca, Serge Daney était rédacteur en chef des Cahiers. Il avait une participation dans la société de Branco, une participation mince (Daney n’était pas riche). Reste qu’ils étaient en affaire, si on peut dire. Ce sont des compagnonnages importants (qui se traduisent parfois par des participations concrètes, éventuellement financières).

Aux Cahiers, on est en train de réfléchir à la façon d'apporter un soutien à de tels films – celui de Serra, celui de Costa – qui ne soit pas seulement un soutien critique. Suite à l'entretien avec Costa paru dans le numéro de janvier, plusieurs lecteurs nous ont écrit, proposant par exemple de faire circuler une pétition pour obtenir la sortie du film. Comme on pensait que le film sortirait le mois suivant, on a dit « Bon, attendons un peu. ». Si d'aventure ces deux films sortent le même mois – en mars –, scénario le plus plausible, il est évident que quelque chose sera fait sur eux, ensemble, d'un point de vue critique, mais aussi en terme de distribution.

Ceci pour situer le cadre.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans