Du constat que, s'agissant des "FF/EA/M"…

…ou "Films forts esthétiquement et artistiquement, mais faibles au regard du marché", les frontières sont poreuses entre les champs de compétence de leurs "supporters".

Catherine Bailhache : Je vais compléter ce que vous dites en l’abordant par un autre biais. Ce phénomène que vous décrivez là, c’est-à-dire le fait que la critique se décide à sortir de son champ habituel pour se préoccuper de questions qui a priori ne la concerneraient pas (ne la regarderaient pas ?), des questions de diffusion par exemple, ce phénomène-là, on le constate parallèlement ailleurs. J’aurai le réflexe ici de parler de ce qui se passe dans l’ouest, région que je connais le mieux, mais je peux affirmer qu’actuellement un peu partout en France, on constate ce même phénomène, les niveaux sont divers, les partenaires aussi, mais c’est bien là.

Exemple ici, dans cette région. Un dispositif comme Lycéens au cinéma a pour rôle de choisir et montrer des films de qualité, des films forts justement, à des Lycéens. Reste qu’il le fait habituellement parmi des films sortis depuis déjà un moment, dans le cadre d’un protocole officiel, d’ailleurs assez long. Il n'est en effet pas question d'inscrire officiellement un film dans Lycéens au cinéma tant qu’il n'a pas vécu deux ans d'exploitation classique.

Tout d'un coup, on a décidé avec l'accord de l'ensemble des membres de ce qu'on va appeler notre comité de pilotage que c'était bien aussi, en plus, de s'intéresser à certains films en amont, y compris de leurs sorties en salles, ce, évidemment, avec l’aval des tutelles, c’est-à-dire le Conseil régional, la DRAC et le Rectorat.

Ce que je trouve extrêmement intéressant et passionnant, c’est, à travers certaines actions qu’on va qualifier d’expérimentales, de voir qu’on peut dépasser ce pourquoi on est là normalement. Soudain, on s’intéresse et on travaille autour d’un film donné, non plus deux ans après… mais parfois un an avant. Ce n’est pas du tout conforme, pas du tout prévu, on le fait quand même. Dans la mise en place quotidienne, habituelle, de Lycéens au cinéma, on constate régulièrement des blocages sur un certain type de films. Dans le cas qui nous occupe (le Wang Bing, il y a trois ans, Honor de Cavalleria aujourd’hui), ces films-là échapperaient sans doute à un choix officiel, et même carrément n'accéderaient-ils pas à la possibilité d'être choisis, de figurer sur les listes de départ, si on ne s'y intéressait pas autrement.

Là aussi, comme vous-mêmes qui décidez régulièrement de sortir de vôtre rôle critique habituel, nous effectuons un geste supplémentaire qui n'est pas conforme, qui sort du protocole, parce que sinon on sait bien que ces films ne seraient pas montrés.

Et je termine là-dessus, en ajoutant que, dans le même ordre d'idée, il y a dans ces régions que je connais, dans les Pays de Loire un petit peu, en Bretagne beaucoup, des associations récentes, qui elles aussi jouent un rôle à la marge, sur la marge. Vous voulez que je vous dise ? ils doivent sans doute faire partie de ceux qui vous envoient ces courriers préconisant de lancer une pétition ! De la même manière, régulièrement, ceux-là se disent « On a vu ce film, on veut le montrer, il n’y pas de distributeur, comment peut-on faire pour le montrer quand même ? »

On est en donc train d'assister à quelque chose d’assez intéressant, je trouve, compliqué en même temps, parce évidemment on est dans un pays de lois de décrets. Et on se dit : « On va déjà les voir ces films, se donner le possibilité d’y réfléchir, puis voir comment on peut les montrer à notre tour, en marge des habitudes, quitte à interpréter en les utilisant différemment les textes et décrets, en attendant que peut-être ces derniers soient amliorés pour tenir compte de la réalité. »
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Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans