A voir absolument si possible

Thierry Lounas : Effectivement pour ce type de film qu'on pourrait qualifier de « films de recherche », la langue officielle c'est le français, c'est à dire qu'aujourd'hui pour tous les cinéastes européens importants, la sortie de leur film ne se fait pas dans leur pays mais à Paris, en France. Ça fait des années que c'est comme ça. On parlait de Pedro Costa. Lui, ce qui le soucie le plus c'est de savoir comment son film va sortir en France et quel type de critique il va recevoir. C'est ce qu'on essaie encore de protéger aujourd'hui.

Moi, je suis d'abord critique de cinéma avant d'être distributeur ou quoi que ce soit d'autre. Jadis, dans les Cahiers, il y avait une case qui s'appelait « A voir absolument si possible ». On y trouvait les films très rares. Cette liste n’a cessé de croître depuis les années 70. Des films comme celui d'Albert Serra ou celui de Pedro Costa n’auraient absolument pas figuré dans une telle liste à l'époque, alors qu’aujourd’hui, ils s’y trouveraient. Comment fait-on alors, en tant que critique, quand on une liste « A voir absolument si possible » qui est plus importante, finalement, que le cahier critique, c'est-a-dire les films qui sortent tout à fait normalement ? Maintenant, c'est même devenu « A voir absolument en festival » !

D'ailleurs, puisqu'on parle de ça, comme nous vous le disions tout à l’heure, le film n'a pas eu l'aide à la distribution en novembre dernier. Pour cela, deux arguments ont été allégués. Or, voici le premier : d’après la commission, c'est un film de festival. La commission s'est penchée sur le cas de Honor de Cavalleria et a dit : « Oui… le film est un peu difficile ; on se demande pourquoi il a eu autant de prix, à Turin, à Vienne, à Belfort » et elle en a déduit sans doute que les spectateurs de festival (ça tombe bien, on est ici dans un festival, c’est sans doute pour cela que vous-mêmes êtes ici) sont dans un état psychologique second qui fait qu'ils sont subitement plus disponibles pour ce genre de films, jusqu'à les primer ! Les fous !

(rires)

Alors que quand ils ont des pops corn à l'UGC... Lorsqu’on m’a expliqué cela, j’ai tenté quand même de dire qu’on ne pouvait pas opposer le public d’UGC à celui des festivals, ni même les différencier.

Deuxième argument des membres de la commission : « Nous, majoritairement, on n’aime pas le film, donc il aura pas de public.» J’ai expliqué qu’en fait, il y a à peu près 80%, 90% des français qui n’aiment pas la plupart de films français qui sortent, que si on traite le cinéma avec des jurys citoyens, on ne s'en sort pas. Donc le goût universel et le fait de montrer le film ne sont pas forcément associés. Je pense qu’il faut se battre pour montrer des films qui seront vus par peu de gens.

Moi je suis venu de la critique, donc je suis venu du « A voir absolument si possible ». En mai dernier, à Cannes je ne m’y trouvais absolument pas comme distributeur. Et quand j'ai vu le film d'Albert, c'est parti de la critique, c'est parti des Cahiers du cinéma, donc c'est parti du spectateur en fin de compte, de celui qui voit le film et qui a envie d'en dire quelque chose. Et je suis arrivé ensuite seulement à l’autre question : c'est-à-dire, comment le distribuer ? (et demain ce sera comment produire aussi).

Quand on parle des spectateurs qui suggèrent à la rédaction des Cahiers de faire une pétition pour le film de Costa, etc, c'est qu'il existe un public, malgré tout. Comment fait-on pour amener le film jusqu’à eux ? Pour moi, c'est important. Et quand j'ai vu Honor de Cavalleria et que je vois aujourd'hui l'allure que prend la sortie... Parce que… la sortie du film ressemble énormément au film lui même ! Quand Albert vous a dit ce matin, avant la projection « Il faut être patient »… et bien c’est exactement cela : moi, j'essaie d'inventer de la patience ici et là. On voit bien qu'on doit essayer de lutter aujourd'hui contre le nombre de films, l'empressement à les montrer et puis les éliminer. Comment peut-on aujourd'hui retrouver du temps ? Retrouver du temps pour voir le film lui-même et retrouver du temps pour le sortir.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans