Comment trouver un timbre critique ajusté aux films ?

Emmanuel Burdeau : Je voulais également parler d'une inquiétude, Thierry ironisait à juste titre sur la catégorie « film de festival ». Une crainte, c'est de voir que la recommandation critique finit par créer de la défiance. Je le sais comme lecteur. J’y pense quand j'écris ou comme rédacteur en chef. Un film qui a eu beaucoup de prix dans les festivals, qui plus est accompagné par une très bonne rumeur critique… eh bien cela met parfois en garde le public, paradoxalement.

L'exemple d'A l'ouest des rails de Wang Bing est passionnant de ce côté-là, car c'est un film qui est venu très doucement. Il a mis deux ans à venir de Chine, il est passé par Lisbonne, Marseille… Des articles ont paru avant. On ne pensait pas qu’il sortirait (9 heures…), on n’a donc pas attendu pour en dire du bien. Tout cela a permis qu’il arrive à maturité.

Catherine Bailhache : Oui, justement ! Parlons-en. Je me souviens, concernant le Wang Bing, quand vous avez fait paraître ces deux articles dans Les cahiers du cinéma sur A l’ouest des rails, l'un de vous-même, l'autre d’Alain Bergala pas très longtemps après, on a eu une réunion, vous vous souvenez, une réunion qui n’avait pas à voir avec ce film, mais quelqu’un l’a évoqué, on ne savait toujours pas à quelle date il allait sortir. On a commencé, tous, à parler de ce film et vous vous êtes tourné vers moi, en me demandant comment on pouvait faire pour que ce film existe dans l’esprit du public...

Mais la réponse, Emmanuel, vous la connaissez ! Vous la connaissiez déjà, vous venez de le redire : il faut du temps.

Et un déclic. Nous, par exemple, avons contribué ici avec Lycéens et apprentis au cinéma à le faire exister d’abord dans l’esprit d’exploitants (pas tous…) et d’enseignants. Et ainsi de suite. Mais d’abord, il a fallu qu’il existe dans ma propre tête. Or, je l’ai découvert comment ? Qu’est-ce qui m’a fait comprendre qu’il existait, qu’il fallait que je le voie ? Vous ! et Alain Bergala ! Et je ne suis pas la seule (peut-être même par le distributeur lui-même est-il dans ce cas) ! Pour Honor de cavalleria, je le pose vraiment comme ça, vous allez en parler quand ? Au moment de la sortie ou avant ?

Emmanuel Burdeau : Oui, c'est vrai ... il n'est pas prévu de parler du film avant sa sortie. On l'a fait dans le numéro de janvier avec l'entretien de Costa pour une raison simple : jusqu’à la veille du bouclage on a cru qu'En avant jeunesse sortirait. On a publié l’entretien ; la critique, elle, est écrite, elle est dans un tiroir.

Non pas que la critique ait fonction d'éclaireur ou soit en avance sur tout. Simplement : quand on fait partie d'une commission la question du goût ne doit pas entrer en ligne de compte. Il faut plutôt se poser la question de savoir s'il y a là un projet, une œuvre, Thierry disait : une recherche. Honor de cavalleria va avoir, sauf quelques exceptions, une très bonne réception critique. Il est déjà porté par la critique. A Cannes, Lefort l'a vu un peu tard et a écrit un très beau texte dans Libération. Le film n'est pas en manque par rapport à ça.

Hélas la très bonne réception critique ne garantit rien. Si je lis un article qui joue tout le philharmonique pour un premier film avec une toute petite économie, avec très peu d'acteurs, un sujet majeur traité en mineur, je n'y vais pas.

C’est la question de l’ajustement du volume critique. Très important. Comment trouver ou retrouver un timbre critique qui ne soit pas mésajusté par rapport à ce que sont les films ? C’est très difficile parce que la critique a enregistré le fait que le cinéma d'auteur était en difficulté et a adapté sa rhétorique par rapport à cette situation d'urgence.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans