Honor de Cavalleria / Pourquoi Don Quichotte aujourd'hui ?

Emmanuel Burdeau : Une question, pour repartir de zéro encore une fois. Pourquoi Don Quichotte aujourd'hui ? Pourquoi Don Quichotte en premier long métrage ? Welles a voulu faire un Don Quichotte, il a commencé en 57 et, en 85, à sa mort, il n'avait pas terminé. On connaît Lost in la mancha, le documentaire sur le tournage jamais abouti du Don Quichotte de Terry Gilliam. D’autres films sur Don Quichotte ont eu un destin difficile. J’ajoute qu'à Belfort, beaucoup de gens ont lu dans Honor de cavalleria un propos adressé à l'époque, à aujourd'hui. Albert en parlait d’ailleurs un peu tout à l'heure, en évoquant le cinéma numérique

Albert Serra : Je voudrais répondre à la première question que tu as posée tout à l’heure. Tu me demandais pourquoi je ne parle pas du Don Quichotte qui est fou, qui a lu des récits de Chevalerie. C'est simplement parce que je voulais montrer un petit fragment de la vie de Don Quichotte. Je partais aussi du principe que tout le monde connaissait l'histoire et que ce n'était pas nécessaire de redire tout ça.

Mais tu as parlé après d'une chose très intéressante, c'est la différence entre les plans contemplatifs et les plans narratifs. On peut ressentir une confusion, parce qu'il y a un peu d'ambiguïté : on ne sait pas si les plans sont contemplatifs ou narratifs. On peut être perdu, on peut avoir la sensation que le réalisateur ne sait pas où il va. Or, quand j'ai monté le film, j'ai beaucoup réfléchi à tous les plans. Et il y a une explication rationnelle à ça, très simple : le principal sujet du film, comme du livre, c'est la confusion mentale qui règne dans la tête de Don Quichotte, entre une réalité qu'il imagine et la réalité du monde. Je me disais : il y a peut-être des contradictions dans certains plans. J'ai décidé de garder cette ambiguïté parce que, simplement, je l'aimais, avec des scènes qui ne servaient à rien, des choses gratuites. C'est une contribution à l'atmosphère générale de la confusion mentale. C'est vrai qu'il y a des plans à la fois narratifs et contemplatifs. La confusion est la même, dans la tête de Don Quichotte, dans celle du réalisateur, dans le film.

Pourquoi Don Quichotte ? Je ne sais pas très bien. Parce que je déteste le monde contemporain, je déteste les sujets contemporains. Je n'avais pas envie de tourner dans des décors contemporains. J'ai trouvé les acteurs qui ne sont pas des acteurs. J'en ai trouvé un qui ressemblait à Don Quichotte ; et l'autre je me suis dit qu'il ressemblait peut-être à Sancho. J'ai décidé de faire le film lors du premier un rendez-vous avec les deux ensemble. Je me suis dit : « C'est extraordinaire, ils sont meilleurs ensemble ! »

Il y a un moment où il faut décider de faire un film... Il y a un écrivain catalan qui disait (il était aussi critique culinaire) : « J'accepte toutes les combinaisons possibles, de deux éléments, de deux ingrédients, à condition que le résultat soit meilleur que s'ils restent séparés. » C'est la même chose. J'avais l'histoire de Don Quichotte, un premier acteur, un second, et je me suis dit : « C'est mieux comme ça… »

Comme personne individuelle, Don Quichotte n'a aucun intérêt et son histoire n'a aucun intérêt pour le cinéma d’aujourd’hui. Ce n'est pas une histoire attractive pour le monde d'aujourd'hui. Mais quand j'ai mêlé l'histoire et les deux acteurs je me suis dit que c'était une très belle combinaison, et j'ai décidé de faire le film.

Le raisonnement de l‘action
Honor de Cavalleria

Saison I • épisode 1

20 janvier 2007 à Angers
au cinéma Les 400 coups
et au Centre de Congrès,
dans le cadre du festival Premiers Plans